Récemment j’ai lu un article sur le “privilège blanc”. Le dictionnaire Oxford le définit ainsi : « les avantages inhérents prouvés ‘chez un blanc’ basés sur leur race dans une société caractérisée par l’inégalité raciale et l’injustice. » En le lisant, plusieurs souvenirs me passaient par la tête comme un flash. 

Mon amie Dominga, d’une famille qui quittait le Texas pour le Michigan pour la récolte, m’a parlé de « l’eau colorée ».  Ses parents lui ont dit qu’elle pouvait boire de cette eau et non pas de l’autre, mais les deux eaux étaient claires.  Elle se demandait pourquoi l’eau ne sortait pas en couleurs différentes et on en riait.  On était trop jeune pour comprendre que c’était du racisme.  (N.B. Des Noirs et des personnes d’autres couleurs n’avaient pas le droit de boire aux mêmes fontaines que les Blancs.)

Je me souviens quand ma mère attendait chez le médecin. Elle m’avait donné de l’argent pour acheter de la crème glacée à la pharmacie.  J’avais 8 ans et le pharmacien m’a dit qu’il pouvait m’en vendre une mais pas à ma sœur Tomasa ; j’ai la peau claire et ma sœur a le teint olive.   Je lui ai dit qu’elle était ma sœur et que l’on n’achèterait rien, et on est sorti.   Comme ma sœur ne parlait pas anglais je lui ai dit qu’il n’y avait pas de crème glacée.  Quand ma mère m’a demandé pourquoi on n’en avait pas, j’ai répondu qu’on n’en voulait pas.  J’ai partagé cette histoire pour la première fois dans un cours multiculturel, quand notre professeur japonais nous a demandé de partager nos expériences de racisme.  J’ai pleuré.  Même le fait d’avoir quitté rapidement la pharmacie, d’avoir protégé ma sœur et ma mère du racisme avec des mensonges, je sentais une douleur très profonde que j’avais gardé secrète depuis des années.

Ma sœur Tomasa a épousé un Noir. Elle a partagé beaucoup d’expériences de discrimination dans des restaurants, magasins et hôtels.  Normalement mon beau-frère ne dit rien pour éviter que les choses aillent plus mal.  Depuis que j’écoute les réflexions des Noirs concernant  les manifestations aux États Unis, je comprends mieux comment les hommes Noirs sont formés dans leur famille et pourquoi mon beau-frère garde le silence.   Parler ou questionner peut causer des problèmes avec la police, empêcher d’avoir un travail, être ignoré dans les restaurants.

Je ne peux pas changer le fait de jouir du « privilège blanc » à cause de la couleur de ma peau.  Mais je peux utiliser ce privilège pour apporter du changement dans mon milieu.  En 8ième année, le directeur de l’école a changé mon nom en « Janie » parce qu’un nom anglais m’ouvrirait des portes.     Ça me semblait inutile d’expliquer que mon nom était Juana et j’ai cédé.  À l’école secondaire à l’âge de 17 ans, avec mon certificat de naissance, j’ai finalement changé mon nom dans mon dossier en ” Jauna”.

Comme éducatrice catholique, j’enseigne la justice sociale et j’ai la Madone Noire dans ma salle de classe.  Les deux élèves noirs, dans ma classe majoritairement hispanique, ont partagé leurs expériences.  Dans une école j’ai commencé un « club frisé » quand une élève était harcelée en secret par d’autres élèves qui lui disaient qu’elle était une Noire parce qu’elle avait des cheveux comme eux.  Je fais la sensibilisation sur les préjugés à l’intérieur de la culture hispanique.  Les enfants de peau claire sont encouragés plus que ceux qui ont des teints olive.   Plusieurs dans ma famille sont mal à l’aise parce que ma sœur a épousé un Noir qui est aussi autochtone.

Toutefois, ce n’est pas suffisant d’influencer seulement mon entourage.  La prochaine étape est de porter auprès du personnel de l’école, le sujet  du racisme  et la façon de l’intégrer dans le programme d’études de justice sociale.  Comme éducateurs on a la capacité à influencer la formation des élèves et de la communauté, pour que l’inégalité raciale disparaisse progressivement et devienne plus fraternelle dans le Christ.

Sr Juana  Villescas, Texas