Sa charité ne faisait aucune différence entre les personnes et s’exerçait également envers tous, même envers ses pires ennemis.

Un jour qu’elle se trouvait à Rochefort-en-Terre, en passant dans une rue elle fut témoin d’une émeute populaire dirigée contre un nommé Le Clainche, procureur syndic du directoire établi dans cette ville. C’était un de ces tyranneaux de village, si nombreux à cette époque, qui avaient embrassé avec ardeur les idées nouvelles et se montraient les persécuteurs acharnés des prêtres réfractaires et des personnes qui les favorisaient. Les émeutiers avaient fait irruption dans sa maison, qu’ils saccageaient et dont ils jetaient le mobilier par les fenêtres. Certes, Angélique avait eu plus que personne à se plaindre de cet homme, dont les émissaires étaient venus plus d’une fois faire des perquisitions chez elle ; mais en ce moment elle oublia tout. Sans se soucier de ce qu’on pouvait dire ou penser, elle se mit à recueillir les objets les plus précieux et les reporta à leur propriétaire, tout en s’efforçant de le consoler par de douces paroles.

Profondément touché de cette charité si simple et qui, d’elle à lui, avait quelque chose d’héroïque, Le Clainche lui en témoigna sa reconnaissance en termes chaleureux et lui dit qu’il irait avant peu la remercier chez elle. Il tint parole, et cette entrevue fut marquée par un incident assez comique.

Quand il entra chez Angélique, celle-ci était occupée à cuire des galettes de blé noir. Au bruit des pas elle se retourne, et aperçoit Le Clainche qui s’avance vers elle les bras étendus, dans l’intention évidente de l’embrasser. Avec le plus grand calme, elle place entre sa figure et celle du trop reconnaissant visiteur sa tournette,

qu’elle tenait à la main. La vue de ce visage de bois sentant la galette chaude suffit à calmer Le Clainche, qui prit aussitôt une attitude plus réservée. Après avoir de nouveau remercié Angélique, il tint à lui prouver que sa gratitude ne consistait pas seulement en paroles, et séance tenante, il lui en donna une preuve palpable. C’était un acte écrit et signé de sa main, par lequel il autorisait Angélique Le Sourd à donner libre cours à son zèle charitable et à recevoir chez elle les prêtres réfractaires sans que personne pût l’inquiéter.

Comme on le pense bien, Angélique profita largement de cette autorisation, heureuse de n’avoir plus à se cacher pour conduire chez les mourants les prêtres auxquels elle donnait asile. (…)

Chanoine Guyot p.25-26 (1921)